(Contributions du HCEFH, OCDE, Enda Europe, CARE France, Adéquations, WECF), mai 2016
Cap sur la COP22 : Comment favoriser une mise en œuvre respectueuse des droits humains et de l’égalité des sexes ?
Au-delà de la reconnaissance des impacts disproportionnés des dérèglements climatiques sur les femmes, il s’agit désormais de renforcer le rôle des femmes en tant qu’actrices-clé pour identifier et mettre en œuvre des solutions, et promouvoir un développement durable et juste. Pour la mise en œuvre concrète : la question des financements et du changement d’échelle, l’appropriation et la diffusion des technologies, sûres et durables, la promotion de l’adaptation à base communautaire, l’instauration d’espaces de concertation et de décision intégrant le genre (« gender responsive »).
5 enjeux fondamentaux :
1. Les financements et le monitoring de suivi
Selon le Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE, en 2013, 29% des financements bilatéraux affectés à des projets climat comportaient une dimension de genre (26% comme objectif secondaire, 3% objectif principal). De nombreux bailleurs multilatéraux, comme le Fonds vert pour le climat, la Banque mondiale, la FAO ou l’Agence française de développement ont adopté des stratégies genre. Elles doivent se traduire par un ciblage proactif de moyens bénéficiant réellement aux femmes, réduisant les inégalités sociales et de genre et les vulnérabilités aux crises économiques et au changement climatique. Il est urgent de surmonter les barrières qui rendent les outils financiers existants inaccessibles aux organisations de femmes et aux organisations locales par manque d’information, complexité des montages et des compétences juridiques et financières requises, inappropriation des critères de consultation ou sélection). L’accès sera effectif par des mécanismes de redistribution en cascade et/ou de formation de coalitions de projets l’évolution des instances de gouvernance des fonds, au Nord comme au Sud.
Pour progresser vers l’intégration systématique de l’égalité de genre dans tous les financements et programmes relatifs au changement climatique, au moins 50% de ces financements devront prendre en compte le genre et au moins 15% auront pour objectif principal l’égalité femmes-hommes d’ici 2018. Les associations de la société civile recommandent de le porter à 20%. Les Parties et les Organisations concernées seront encouragées à soutenir ces efforts en utilisant des mesures et outils comparables, tel que le marqueur genre et les marqueurs de Rio (suivi des objectifs de la Convention de l’ONU sur la diversité biologique, la Convention sur la lutte contre la désertification, la CCNUC) du CAD de l’OCDE, ainsi que la budgétisation sensible au genre, pour mesurer la prise en compte du genre dans les financements et les progrès enregistrés dans la réalisation des objectifs chiffrés retenus.
2. Les technologies et emplois pour la transition climatique
Dans les pays du Nord comme du Sud, de nombreuses femmes subissent la précarité énergétique. En outre, l’utilisation de combustibles polluants a un impact négatif sur leur santé et celle de leurs enfants. Leurs besoins énergétiques concernent autant leurs activités domestiques que productives, formelles ou informelles. Les Etats et autres parties prenantes doivent améliorer l’accès des femmes aux énergies renouvelables de base et aux technologies d’efficacité énergétique afin de minimiser l’impact du changement climatique sur leur vie, remédier à leur précarité énergétique, et améliorer leur santé et leur autonomisation personnelle et économique. Les futurs programmes doivent s’assurer que les technologies sélectionnées sont sûres pour la santé appropriées au contexte économique et social, notamment en matière de maintenance, contrôle, coûts et qu’elles sont appropriables par les femmes usagères mais aussi en tant que gestionnaires de ces systèmes.
Former plus de femmes aux techniques liées à l’énergie et au climat, ainsi que les inclure dans les processus de transferts et d’appropriation des technologies, est essentiel de façon à augmenter l’accès des femmes aux emplois dits « verts » générés par la transition énergétique, en leur fournissant l’éducation, la formation professionnelle et les compétences requises pour se préparer à, s’adapter à et bénéficier économiquement de la transition écologique. Dans cette optique il convient d’identifier et de lever les obstacles légaux et sociaux qui freinent l’autonomisation économique et personnelle des femmes.
3.Miser sur l’adaptation dans une approche participative pour réduire les inégalités
Afin d’assurer un développement durable et inclusif, il est nécessaire de promouvoir une adaptation aux changements climatiques participative équitable entre les femmes et les hommes, au sein des politiques, programmes, budgets et mécanismes financiers, aux niveaux local, national et international. Pour réduire les inégalités liées au sexe, à l’âge, au niveau de richesse ou à l’origine, et à renforcer les capacités des populations les plus vulnérables, il est important de :
Veiller à ce que la planification de l’adaptation soit menée par les communautés et groupes affectés, y compris les femmes, et conduise à une action basée sur les droits, participative et transparente, avec un suivi régulier dans la mise en œuvre
S’assurer qu’avant de développer les activités et budgets pour l’adaptation et/ou l’atténuation, une analyse des dynamiques de genre et de pouvoir est systématiquement menée, afin d’avoir une bonne compréhension des différents niveaux de connaissances, compétences, relations de pouvoir et capacités entre les hommes et les femmes. Il s’agit également de déterminer dans quelle mesure les stress et contraintes imposés par le changement climatique affectent ces dynamiques de pouvoir au fil du temps.
Veiller à ce que le genre soit pris en compte à tous les stades du cycle de projet ABC, en adaptant les méthodes et outils au contexte local.
Investir pour réduire les inégalités d’accès à l’information climatique et aux technologies d’information et de communication (TIC), à travers le renforcement des capacités et l’éducation pour améliorer le niveau d’alphabétisation des femmes
Renforcer la collaboration multipartite (réseaux et plateformes de la société civile, ministères concernés, structure nationale de collecte et analyse des données statistiques, organisations à base communautaire) afin de favoriser le partage, la compréhension, l’interprétation et la communication des informations climatiques et de fournir un espace de dialogue sur les problématiques et solutions nationales et locales dans le domaine de l’adaptation.
4. La concertation, la formation, l’expertise genre
Il est prioritaire de promouvoir la participation effective et substantielle des femmes à tous les niveaux de concertation et de prise de décision sur les questions climatiques – local, national et international – et dans l’élaboration, la mise en place et les mécanismes d’évaluation et de révision des Contributions déterminées au niveau national » (NDC). Cela contribuera à la prise en compte des besoins spécifiques des femmes et des filles et au choix de solutions adaptées aux dérèglements climatiques.
Dans les espaces et processus de concertation, il est indispensable de financer et de promouvoir des concertations animées par des spécialistes en genre, développement durable et climat tout autant que de continuer à former des spécialistes du climat à la prise en compte des enjeux de genre. La prise en compte de l’expertise des femmes, de leurs connaissances traditionnelles ou de leur expertise d’usage doit faire partie des processus participatifs de définition des critères d’éligibilité et des politiques.
5. Des projets et des articulations proactifs et cohérents
Un équilibre doit être recherché entre les projets d’intégration transversale du genre et ceux ciblant spécifiquement le renforcement des capacités des femmes, tant sous les volets d’adaptation que d’atténuation.
Les projets visant l’adaptation et incluant le genre sont souvent centrés sur la résilience, ils sont plus modestes que les projets d’atténuation et les agences manquent de projets ayant une certaine « envergure ». Des mécanismes de constructions d’alliance permettant des changements d’échelles devraient promouvoir des projets participatifs « bottom-up », enracinés dans les communautés. Et des mécanismes de subventions en cascade, ou l’appui sur des organisations ombrelles agissant comme « entités intermédiaires » devraient également permettre d’atteindre des organisations de femmes de terrain ou communautaires, à partir de programmes à grande échelle, en veillant à y garantir la redevabilité et la bonne gouvernance. Pour concrétiser les engagements nationaux, des résultats sont attendus, et doivent se mesurer au plus près du terrain, à l’échelle des organisations communautaires, des villages, des villes et des collectivités territoriales infra-étatiques. L’engagement des collectivités locales, de leurs organisations en articulation avec celles de la société civile, en intégrant les questions de genre est donc aussi un enjeu stratégique de la mise en œuvre .
3 portes d’entrée à privilégier
1. Selon un examen mené par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), seules 37% des 160 contributions déterminées au niveau national (NDC) mentionnent les femmes ou le genre. La somme des contributions actuelles nous place toujours sur une trajectoire de réchauffement de 3°C d’ici la fin du siècle, donc très supérieure à l’objectif formulé dans l’Accord de Paris. Une plus grande ambition des contributions nationales et une intégration du genre dans la majorité d’entre elles sont donc deux objectifs concomitants pour 2020. Il n’existe pas encore de guide pour l’intégration des questions de genre dans l’élaboration des NDC, mais de nombreux outils existent en lien avec le développement durable, le changement climatique, la sécurité alimentaire, les questions énergétiques . Non seulement 100% des NDC doivent mentionner les femmes et/ou le genre, mais elles doivent être élaborés avec les meilleures pratiques possibles.
2. Un grand nombre d’Etats doivent encore développer des plans nationaux d’adaptation. L’atelier organisé par le Secrétariat de la CCNUCC sur l’adaptation, le renforcement des capacités et le genre les 18 et 19 mai 2016 offre l’opportunité pour les Etats, les organisations de la société civile et les agences intergouvernementales de partager les bonnes pratiques et les défis dans ce domaine. Il est important que des expert-e-s en genre au niveau national puissent participer au développement de ces plans ainsi qu’au suivi de leur mise en œuvre et leur évaluation.
3. Le Programme de travail de Lima relatif au genre, adopté pour deux ans (échéance à la COP22) vise à la fois à favoriser des politiques climatiques intégrant le genre (« gender responsive »), à renforcer les capacités des négociateurs-trices sur le genre, à organiser des ateliers d’échanges sur genre et atténuation et genre et adaptation ainsi qu’à augmenter la participation des femmes aux instances de décision climatiques. Ce programme de travail a également conduit à la production d’une synthèse des outils et stratégies genre existant en matière climatique (voir données citées plus haut). Cette synthèse contient des recommandations concrètes sur lesquelles les Etats et tous les acteurs pourront s’appuyer. Ce programme de travail devrait être reconduit par une décision officielle de la COP22, puis passé en revue tous les ans et mis à jour tous les quatre ans.
7 propositions de suites du Programme de travail de Lima relatif au genre
1. Des ateliers pendant les intersessions permettant d’examiner l’intégration du genre dans les différentes entités de la CCNUCC (finance, technologie, mécanismes d’atténuation et d’adaptation, Fonds Vert…) et d’autres instances et mécanismes (Fonds Mondial pour l’Environnement, Plans nationaux d’adaptation, réunions d’expert-es techniques).
2. Un volet de soutien et renforcement de capacités sur le genre dans les rassemblements nationaux et régionaux à venir abordant la mise en œuvre des Contributions déterminées au niveau national (NDC).
3. Une formation et un partage d’informations entre délégué-es sur l’analyse des dynamiques de genre et de pouvoir.
4. Des travaux de recherche et des rapports sur l’intégration du genre dans les différents domaines liés au changement climatique (financements, technologies, etc..)
5. L’inclusion d’expert-es genre dans les divers processus de revue et les réunions d’expert-es techniques au sein de la CCNUCC.
6. Un espace d’échange pour promouvoir des actions concertées, cohérentes et convergentes multi-acteurs sur l’intégration des rapports de genre dans l’action climatique. Le renforcement de la concertation, des capacités, du recueil de pratiques des pays et acteurs-trices francophones en matière de genre et climat. La traduction des documents ayant trait au genre et au climat dans les différentes langues des Nations unies.
7. L’Agenda d’Action Lima-Paris encourage les initiatives et les coalitions multi-acteurs. Toutefois, il ne dispose pas d’un cadre de gouvernance ni d’une grille de sélection des initiatives avec des critères socio-environnementaux, éthiques et juridiques nécessaires pour s’assurer que les actions promues respectent les droits humains, l’égalité des sexes, les droits des peuples autochtones et des générations futures, la sécurité alimentaire…. Les intérêts des femmes en général et surtout des femmes les plus affectées, doivent y être mieux définis. Il convient donc de croiser les Objectifs de développement durable (ODD) et de lutte contre le changement climatique, tant dans les politiques publiques que dans les programmes multi-acteurs afin d’aller vers une réduction des inégalités sociales, de genre, économiques, et environnementales.